BENJAMIN HOFFMANN
Durant le semestre de Printemps 2014, j’ai eu le privilège d’enseigner un cours de création littéraire en langue française à l’Université Yale. Intitulé « Advanced Writing Workshop–French 195b », ce cours poursuivait un triple objectif.
Le premier consistait à permettre aux étudiants d’améliorer leurs qualités d’écriture en langue française au moyen de brefs devoirs hebdomadaires et d’exercices de plus longue durée à remettre au terme de chaque séquence. Ces dernières ont porté sur des formes et des genres distincts – la narration, la description, le dialogue, l’épistolaire et l’essai – afin de donner aux étudiants l’opportunité de s’exercer à des types d’écriture variés. Après la pause de printemps, les étudiants ont commencé à réfléchir à un texte de plus grande ampleur qui devait compter comme leur devoir final. Ce sont ces textes, reproduits avec l’accord de leurs auteurs, qui font l’objet du présent numéro de l’Amuse-Bouche : L’Amuse-Bouche ouvre ses pages.
Le deuxième objectif consistait à introduire des étudiants de niveau avancé à des auteurs du XVIIème siècle à nos jours. Aux côtés de Madame de Sévigné, de Nathalie Sarraute, de Casanova, Sartre et bien d’autres, nous nous sommes promenés dans la littérature française, réfléchissant à la place des textes étudiés dans l’histoire d’un genre et d’une période de l’histoire littéraire. Pour autant, il ne s’agissait pas de cours de littérature au sens classique du terme, puisque nos discussions avaient pour objectifs principaux de souligner des aspects de la technique des auteurs, d’éclairer leurs choix esthétiques et stylistiques, afin que les étudiants se les approprient au cours de leurs travaux.
Parfois, ces exercices reposaient sur une contrainte technique dont nous avions préalablement observé l’illustration dans une œuvre: après avoir lu le fameux dialogue des comices agricoles dans Madame Bovary, les étudiants se sont essayés à l’art délicat de rédiger un texte où deux dialogues en parallèle se commentent et se répondent. Parfois, des connaissances en histoire littéraire ont fourni le thème des devoirs hebdomadaires : après avoir appris que Chateaubriand décrivait dans l’incipit d’Atala un paysage qu’il n’avait pourtant jamais vu, les étudiants ont eu pour tâche de représenter à leur tour des paysages rêvés. Parfois, enfin, les exercices ont consisté dans la reprise simultanée d’un thème et d’une forme : nous avons étudié une lettre particulièrement irrévérencieuse de Céline à Gaston Gallimard, avant que les étudiants n’adressent à un éditeur imaginaire une lettre accompagnant le manuscrit d’un livre fictif. La robinsonnade dans les nouvelles de Sylvain Tesson, le dialogue philosophique dans le Neveu de Rameau, l’ekphrasis du port de Carquethuit dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs, ont, parmi d’autres points de référence, donné l’occasion aux étudiants de pratiquer leur français à l’écrit et servi de support à l’expression de leur imaginaire.
Précisément, c’est le développement de la créativité des étudiants qui représentait le troisième objectif de ce cours. À chaque devoir ils m’ont étonné par leur capacité à proposer des variations originales sur un thème. Un étudiant a par exemple recréé les impressions d’un enfant le jour de sa naissance, reconstituant ses sensations, ses pensées, sa perception du monde extérieur au sein du ventre de sa mère ; un autre a rédigé une lettre fictive d’un Américain à un Français dans laquelle il l’interrogeait sur les causes de singularités culturelles qui avaient toujours suscité sa curiosité ; un autre, imaginant le dialogue des rescapés d’un naufrage, a su leur faire aborder sur la grève des questions métaphysiques ; un autre, enfin, s’essayant au genre de la littérature post-apocalyptique, a rédigé l’incipit d’un roman dans lequel un jeune homme lutte pour la survie dans un monde ravagé par la guerre. Ainsi ai-je eu le plaisir de découvrir des textes où se dévoilaient une culture personnelle, des thèmes de prédilection, des effets stylistiques récurrents: enfin ce qui fait la spécificité d’une écriture littéraire.
La parution d’un texte rédigé par les étudiants s’inscrivait dans la logique de ce cours d’écriture. Cette publication est à la fois le point culminant du travail accompli durant le semestre mais aussi une première expérience du statut d’auteur puisque ce dernier s’acquiert lors du partage avec autrui d’un effort de création. Je tiens donc à féliciter les étudiants pour le courage et la générosité qu’un tel partage présuppose ; mais aussi à remercier Benjamin Mappin-Kasirer et John Sununu pour leur enthousiasme et l’énergie qu’ils ont déployé afin de réaliser cette édition spéciale.
Une liberté complète avait été laissée aux étudiants pour leur devoir final. Pourtant, sans s’être concertés, ils ont rédigé des textes qui manifestent de nombreux thèmes communs : celui de la mort et des croyances religieuses ; celui de la transmission entre les générations et du soin que l’on prend de sa famille. Chacun à sa manière raconte l’histoire d’une tendresse laissée en héritage.
Il me reste à espérer que ce numéro inaugure une longue série et que les prochaines générations d’étudiants du 195b continuent à trouver dans les pages de l’Amuse-Bouche un espace de création en langue française.